La dette publique française est un problème ?
Introduction
On entend souvent le propos que la dette publique se creuse, que l'on a un excédent de dépenses publiques face aux recettes, qu'il faut réduire la dépense publique. Démêlons tout cela afin de comprendre comment tout ceci fonctionne.
Définition et arguments
La dette publique, qu'est-ce que c'est ? Il s'agit dans les faits de l'ensemble des engagements financiers pris sous forme d'emprunts par l’État, ses organismes dépendants directs et ses collectivités publiques[1], ce qui la distingue de la dette des ménages et de la dette des entreprises (qu'on regroupe communément sous le terme de dette privée).
La dette publique est la dette de l’État. En 2021, la France a 2.800 Mds € (2800 milliards d'euros) de dette, soit 112% de son PIB [2][3].
Un tel montant peut donc interroger et d'aucuns de conclure :
- Nous vivons au-dessus de nos moyens ;
- Si nous ne faisons rien, les marchés financiers vont augmenter les taux d'intérêt, ce qui va renchérir le coût de l'emprunt ;
- Même si tel n'est pas le cas, il s'agit d'une fuite en avant inacceptable, et que nous laissons en héritage à nos enfants ;
- C'est une spécificité à la française, et nous devrions réformer comme l'ont fait l'Allemagne, les USA ou le Royaume-Uni (pays plus rigoureux/dynamiques)
- Nous devons donc en particulier réduire notre dépense publique
Dette publique vs dette privée : une inquiétude ?
La dette publique au sens de Maastricht s'élève effectivement à 112.8% du PIB. Si on compare à la dette privée :
- des ménages : 65.9% du PIB
- et des sociétés non-financières : 101.1% du PIB[4]
On constate que la dette privée n'a rien à envier à la dette publique, elle est même clairement plus élevée au contraire. Pourtant, il ne semble pas que le sujet soit sur le devant des discussions publiques.
Si l'on s'amusait à calculer la dette privée comme on calcule la dette publique, on atteindrait même 200% de PIB à en croire l'étude de l'économiste Christophe Ramaux[5]
Les taux d'intérêt des marchés financiers : une augmentation ?
La sanction par une hausse drastique des taux d'intérêt des marchés financiers n'a pas eu lieu depuis 10 ans, contrairement à la prédiction de certains économistes et partisans d'un point de vue libéral[6]. Nous passons volontairement sur la période récente de Covid-19 (du fait de son caractère exceptionnel) et de celle qui lui suit (du fait des conséquences de cette période atypique).
Une dette en regard d'un patrimoine : rappel de comptabilité
Lorsqu'on parle de la dette dans un bilan comptable, on regarde son passif (comment ai-je pu financer mes actifs ?). Dans ce cas, il convient également de regarder son actif (qu'est-ce que l’État possède). Et le patrimoine des administrations publiques (avant la période Covid-19 tout du moins) était encore supérieur à la dette publique. De fait, les générations futures devraient plutôt hériter d'un patrimoine que d'une dette.
C'est d'ailleurs en ce sens que les administrations publiques peuvent continuer à emprunter et que les banques continuent de leur faire confiance.
Un exemple intéressant à avoir en tête est le cas d'un ménage qui a emprunté pour pouvoir se payer un logement en résidence principale. Il ne vient à l'idée de personne de ne regarder que sa dette (son emprunt), en oubliant sciemment de considérer son patrimoine (sa maison/son appartement).
Évidemment, lorsque la dette s'alourdit chaque année, il peut être tentant de s'alarmer. Nous pourrons nous pencher plus spécifiquement sur ce point précis, mais il faudra retenir quelques points :
- L'emprunt d'un État n'a rien à voir avec un acteur économique "habituel", tel qu'un ménage, ou même une entreprise. Les emprunts et ses dettes ne doivent donc pas être envisagés selon le même prisme de lecture ;
- L’État n'a notamment pas de fin, par accord commun (pas de mort, pas de dépôt de bilan) ;
- Il y a un certain paradoxe à vouloir réduire les recettes de l’État ("nous payons trop d'impôts"), mais ne pas vouloir alourdir sa dette non plus.
Une spécificité toute relative
Il est vrai que l'Allemagne n'a pas vu sa dette publique augmenter en pourcentage de PIB de manière généralisée, mais c'est bien le contraire que l'on a pu observer dans la plupart des pays riches. Ainsi, entre 2007 et 2016 la dette publique a augmenté :
- De 44% aux USA (en 2016, sa dette était supérieure à 100% de PIB) ;
- De 45% au Royaume-Uni ;
- Pays, tous deux ayant une dépense publique plus faible ;
- Dans le même temps, la dette publique de la France a augmenté de 34%.[7]
On trouvera un tableau comparatif sur les 10 dernières années en zone UE ici :
Endettement en zone UE - 2022 (Fichier PDF)
Et des pays dont la dette est supérieure à 100% de PIB existent en dehors de la France (Chypre, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, les USA de 2016 comme dit plus tôt, le Japon, ...)
Faut-il réduire les dépenses publiques pour contenir la dette ?
Entre 2009 et 2013, la Grèce a connu une baisse de l'ordre de 20% de ses dépenses publiques. Un des effets principaux de ce levier a été de voir, dans le même temps, une baisse de 25% de son PIB. En proportion, la dette a donc augmenté sur cette période.
Avant la pandémie, en 2016 toujours, on pouvait noter :
- USA : dette 108% de PIB / dépense publique 38% de PIB
- Japon : dette 250% de PIB / dépense 41% de PIB
- Espagne : dette 101% de PIB / dépense 42% de PIB
- France : dette 98% de PIB / dépense 56% de PIB
De fait :
La dépense publique permet également de réduire les inégalités, en réduisant le rapport de revenus primaires des 10% les plus riches de 12.7 fois le revenu des 10% les plus pauvres à 3.2 fois[8]
Lorsqu'on s'intéresse de près à la dépense publique, au-delà de ses frais de fonctionnement interne (~42% de la dépense) (qui tournent aux alentours de 18% de PIB, ce qui est stable depuis 1978 - et par ailleurs inférieur au niveau du Royaume-Uni pourra-t-on remarquer), on peut également constater que les 58% restants finissent par être réinjectés dans l'économie réelle plutôt qu'épargnés, par le biais de la consommation, tout simplement.
N'y-a-t-il aucune source d'inquiétude ?
Il ne faudrait pas conclure d'une opposition à certains arguments d'ordre libéral qu'il n'y a pas de sujet particulier. Il est normal de s'interroger sur le fait que la dette publique soit élevée. Il conviendra juste d'avoir l'ensemble des éléments en main pour faire les bons choix :
- La dette publique peut être réduite en ne se concentrant pas uniquement sur les dépenses des administrations publiques, mais également en se penchant sur ses sources de revenus (quid des baisses d'impôts ?) ;
- La dette privée est tout de même bien plus élevée que la dette publique, et ne fait pourtant pas l'objet d'inquiétude de la part des think-tanks libéraux. Doit-on rappeler que la crise des subprimes provient pourtant d'un excès de confiance de la dette privée (les ménages, pourtant fortement endettés, se sont retrouvés incapables de rembourser) ? Et cette dette privée s'est transformée en dette publique, puisque les États sont venus à la rescousse des banques pour les renflouer... Entre 2003 et 2007, la dette publique était aux alentours de 65% de PIB (très proche de l'exigence de Maastricht de 60% de PIB) et grimpe à 83% en 2009...
Sources
Rappel : Endettement en zone UE 2022 (Fichier PDF)
Références :
- ↑ Dette publique (source Wikipedia) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dette_publique
- ↑ Mon dictionnaire d'économie - Thomas Porcher - Editions fayard - chapître "Dette publique"
- ↑ Chiffres de l'INSEE sur la dette publique : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6010921
- ↑ Chiffres de l'INSEE sur la dette privée : https://www.insee.fr/fr/statistiques/3281639?sommaire=3281778
- ↑ La dette privée n'a rien à envier à la dette publique : https://www.nonfiction.fr/article-11541-penser-leconomie-republicaine-entretien-avec-christophe-ramaux.htm
- ↑ Mon dictionnaire d'économie - Thomas Porcher - Editions fayard - chapître "Dette privée" & chapître "Dette publique"
- ↑ Mon dictionnaire d'économie - Thomas Porcher - Éditions fayard - chapitre "Dette publique"
- ↑ INSEE - La réduction des inégalités via la dépense publique : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/version-html/5020893/imet138.pdf